7h. Le réveil sonnait. Je cherchais de la main dans le lit ma conquête de la veille. Rien. Personne. Et à en juger par la fraîcheur de l’oreiller, la demoiselle s'étaot fait la malle depuis un moment. Soupir de satisfaction : pas d’adieux à faire. Pas de moment gênant dans l’entrée de l’appart à attendre qu’elle remette ses chaussures, promettre de rappeler qui que ce fût sans même en penser un mot. Je souris, rempli de joie :

- Je. KIFFE Tinder.

Et j’bénissais sincèrement son créateur de génie, sauveur de milliards de mecs dans le monde, en chiens tout comme moi.

Regard rapide vers mon téléphone indiquant qu’il était plus que temps de se bouger. Saut du lit. Douche, café en speed avant de sauter sur mon skate, casque vissé sur les oreilles, clope au bec : ready, set, go.

8h. Arrivée au poste. Salutations plus ou moins sincères aux collègues, check à Javi, mon coéquipier et meilleur ami depuis quelques années maintenant.

Un pied dans la salle de repos. Reprise rapide du souffle court qui rappelait qu’arrêter de fumer serait la meilleure option. Second café de la journée : je pouvais y aller.

J’entrais dans mon bureau concentré, faisant mine de ne pas voir la pile de dossiers à remplir avant ce soir : technique essentielle pour ne pas être démoralisé par l’ennui que me procureraient les huit interminables maudites prochaines heures.

- Bordel, j’veux crever.

J’adressais un regard suppliant à Javi. Lui, riait à moitié. Au fond, j’savais qu’il compatissait. Du moins, ça m’arrangeait bien d’le croire. Ca rendait la chose moins pénible à vivre sur le coup.

10h. J’avais déjà oublié la douleur du début. Le plus dur était encore d’entrer dans les dossiers. Mais une fois lancé, j’m'étais fait à l’idée : ma journée ne sera pas fun, voilà tout. C’est la sonnerie du téléphone qui me sortit de ma concentration mêlée de torpeur. Et sans laisser l’interlocutrice m’expliquer la raison, j’ai lancé :

- Gene, s’il te plait dis moi qu’j’dois sortir, t’as pas… une toute petite affaire pour moi ? Tu veux pas qu'j'aille t'prendre un casse croûte? sûre ?

Rire à l’autre bout du combiné. Je grimaçais : je n’aimais pas, quand elle riait. Ca ne présageait rien de bon.

- Désolée d’te décevoir p’tit chou ! Tu vas rester le derrière vissé devant ton bureau aujourd’hui. En revanche… bonne nouvelle. Fais un peu d’rangement, t’as d’la visite. J’t’envoie un p’tit jeune !

J’arquais un sourcil, sourire aux lèvres : - Merci Gene ! t’es la meilleure !

- Taré ! Me répondit-elle avant de raccrocher : on s’adorait.

Comme elle me l’avait conseillé, je fis place. Terminais de remplir un formulaire que je rangeais aussitôt dans mon tiroir, attendant patiemment que mon invité du jour pointe le bout de son nez...

Attraction de ma journée, j’bénissais c’gamin, alibi idéal pour sortir de mon ennui. Sans rien dire, je l’ai d’abord toisé de la tête aux pieds, me redressant sur ma chaise pour me donner une certaine contenance devant lui : le mode cachalot devant un client avait un style qu’il fallait éviter si l’on voulait s’faire respecter.
Je n’avais aucune intention de le juger, non. Seulement j’voulais savoir à qui j’avais affaire. Oeil à l’affût, sourcil hirsute, j’ai croisé les mains, posant les coudes sur mon bureau, silencieux. Resté de glace face aux provocations de ce gamin qui ne trompait personne… en tous cas, pas moi : il faisait le mariole, mais au fond, j’me doutais que rien ne se passerait.

J’ai mordu ma langue, un sourire en coin se dessinant sur mon visage. Sans bruit, j’ai sorti une boite de doliprane du tiroir de mon bureau. La faisant glisser face à lui, je lui ai ensuite tendu un verre d’eau.

- Soirée difficile ?

J’ai froncé les sourcils, détaillant les bleus sur ses bras. J’disais pas un mot, bras croisés, attendant que lui m’raconte c’qu’il avait pu se passer. Pourtant, j’en avais un aperçu, là devant moi.Me donnant une idée très précise de ce qu’il avait pu vivre quelques heures auparavant. Regard bienveillant, presque nostalgique de cette époque où tout comme lui, j’me retrouvais là, insolent face aux flics qui m’laissaient des heures entières en dégrisement. Reprendre mes esprits.
Fronçant les sourcils, mon sourire en coin se transformait en amusement. Il avait beau avoir l’air nettement moins saoul que lorsque les collègues l’avaient retrouvé, il n’en semblait pas moins totalement éclaté de la veille. J’ai souri.

- En r’vanche pour tes affaires… Faudra attendre : c’pas moi qui les ai.

Et puis j’ai haussé les épaules face à sa question. Ce qu’il faisait ici ? j’en avais mon idée : c’était globalement toujours la même histoire, les gars en dégrisement. Seules les circonstances changeaient : noyer son chagrin dans l’alcool ou faire le coq, virée nocturne entre potes, ça tournait mal, et l’matin, on s’trouvait surpris de ne pas être chez la belle blonde à la poitrine XXL qu’on avait dragué toute la nuit ; dans une cellule qui sentait l’urine de clodo et la dépression.

- C’que tu fais ici ? Vu ta requête, t’as picolé. Vu ta nuit ici, plus que raison. Pour le reste… tu crois pas qu’c’est à toi d’me l’dire ?

J’ai arqué un sourcil, attendant ses réactions, non sans amusement dans le regard. Cette cuite, il allait s’en souvenir… Ou pas. Tout dépendait d’son alcoolémie !