Londres, 8 février 1990

Un après-midi d’hiver comme un autre pour la plupart des gens et pourtant c’est celui-ci que j’ai choisi pour montrer ma petite frimousse. Loane, ma mère, alors âgée de seize ans fut partagée entre un mélange d’émotions. Un mois plus tôt elle vivait une vie normale, ou presque, et du jour au lendemain elle apprenait qu’elle attendait une fille et que c’était pour tout bientôt. Elle n’eut tout simplement pas le choix.

Heureusement pour moi, mes grands-parents maternels l’ont aidé et m’ont en fait élevé. Certaines jeunes femmes sont prêtes à être mère à cet âge, pas la mienne. Je l’aimais pourtant, elle aussi mais elle ne savait tout simplement pas comment faire. Plus une copine qu’une mère, un manque de repère qui m’a beaucoup coûté quand ma grand-mère est décédée alors que je n’avais que quatorze ans.

Je me suis construite seule, j’ai beaucoup travaillé et j’ai eu de la chance d’avoir de très bons amis, surtout Paul, mon meilleur ami depuis le primaire. Une relation indescriptible, le frère que je n’ai jamais eu, le meilleur ami, mon âme sœur (amicale). Une relation si fusionnelle et exclusive qu’une fois mes études de journalisme finie nous décidions de nous marier. Non pas parce que nous voulions finir notre vie ensemble avec nos quinze enfants mais tout bonnement parce qu’il n’arrivait pas à assumer qui il était auprès de sa famille. Un homosexuel aurait fait tâche pour dire les choses gentiment. Nous nous sommes installés dans un trois pièces et avons vécu comme des colocataires pendant six ans.

J’ai obtenu un poste de journalisme assez vite ce qui me plaisait, pouvoir explorer, voyager, c’est ce dont je rêvais. Et puis, plus j’avançais, plus j’évoluais plus on m’en demandait, plus je me sentais bridée. Je me sentais sous pression et mon entourage finissait par ne plus me reconnaître, beaucoup trop sur les nerfs. Quand, avec Paul nous avons divorcé j’ai aussi démissionné, pris mes clics et mes clacs et décidé de partir vivre à Melbourne. J’ai trouvé un petit boulot de fleuriste en mentant un peu sur mes expériences (j’avais seulement aidé un oncle au lycée pour me faire de l’argent de poche). Aujourd’hui je me sens bien ici. Je suis célibataire même si cela commence à me peser. J’approche des trente ans et je vois un peu mon rêve de la famille unie et heureuse s’évanouir. Je ne désespère pas pour autant et prends les choses comme elles viennent.