Une énième journée harassante s’achève. Malgré l’attrait que je porte à mon univers professionnel, une fatigue chronique ne cesse de me hanter. Cette nouvelle garde ne s’est pas aussi bien déroulée que je l’espérais. Je pourrais être comme tous ces hommes : heureux de pousser la porte de son domicile, d’y retrouver une personne chère à mes yeux. Mais non. Je demeure, une fois de plus, bien différent du commun des mortels. Je vis en colocation. Jusque-là rien de plus normal me direz-vous ? Sauf que dans le cas présent il ne s’agit pas d’une femme au profil très « classique. » Il y a quelques semaines encore je pouvais le croire, mais à présent… Comment Maëly a-t-elle pu me mentir à ce point ? Comment a-t-elle pu inventer une histoire aussi abracadabrantesque ? Aujourd’hui je doute de sa sincérité, de son histoire, de tout… Mais surtout, d’elle.

Chaque soir un vaste soupir gagne le creux de mes lippes tandis que je franchis le pas de la porte. Je sais d’ores et déjà que Maëly ne sera pas présente. Elle doit certainement être occupée avec ces messieurs ou ces dames. Tant mieux. Elle ne pourra pas ainsi tenter de m’amadouer par ces regards et sourires. Si aux premiers abords cette situation m’agace, au fond j’aimerai ne plus y penser et passer rapidement l’éponge. Mais non. Je tente de conserver ce visage froid et dédaigneux qui parfait le visage de l’étudiant que je suis. Sauf qu’une fois la porte claquée, je ne suis plus cet homme, j’en deviens un autre…

Alors pour oublier tous mes désagréments quotidiens je m’enferme dans mon bureau, travaille sans relâche. Les rares jours où je rentre après Maëly sont perlés de froideur. Et ce soir ne fera pas exception à la règle. À moins qu’une obligation quelconque, à laquelle je ne peux malheureusement pas déroger, se glisse entre nous.

Subitement l’écho d’une voix familière m’extirpe du livre sur lequel je travaille. Instinctivement je reconnais Maëly. C’est elle. À peine ai-je relevé la tête que je pose mon crayon à papier contre le verre froid de mon bureau avant de grogner. J’espère sincèrement qu’elle ne va pas s’amuser à venir me parler. Je n’en n’éprouve aucune envie. Après tout que puis-je bien lui dire à présent ? Bonjour ta journée s’est bien passée ? Combien de clients as-tu enchaînée ?  Cette hypocrisie naissante m’énerve déjà.

Il était presque minuit quand je rentrai à la maison. Une soirée poker où j’ai du déstabilisé quelques joueurs pour satisfaire un client récurrent, avec « récompense » en prime en fin de soirée. Compliqué mais j’avais espoir que cela soit un de mes derniers contrats. J’avais un rendez-vous quelques jours plus tard pour un entretien que Mitch avait pu m’obtenir. Secrétaire, je n’y connaissais rien mais Mitch avait su me donner la confiance nécessaire pour tenter ma chance.

Alors que je refermai la porte de l’appartement discrètement, je vis de la lumière sortir du bureau d’Adrian, mon colocataire. « C’est moi ! » lançai-je avant d’aller directement à la salle de bain me déshabiller. J’avais besoin de prendre une douche.

Depuis qu’Adrian avait découvert mon vrai métier, notre relation s’était énormément dégradé. Nous étions tendus, je n’osais plus le regarder ni l’approcher et pourtant, tout se passait tellement bien avant ça. Pour ne pas mentir, je commençai à me sentir différente à ses côtés, et cela n’avait pas changé. Cela m’effrayait autant que ça m’attirait mais c’était vrai. Si on enlevait le fait que je lui avais menti sur mon métier, il était le seul, mise à part mon meilleur ami, avec qui je savais me montrer telle que je suis réellement. Je pouvais craquer avec lui, il ne me jugeait pas sur le fait de ne pas vouloir retrouver ma mère. Il avait aussi été là quand j’avais lu la lettre qu’elle m’avait envoyé avant sa mort, et là non plus il ne me posa pas plus de question.

« Bonjour ta journée s’est bien passée ? » me demanda-t-il. Je sentais dans sa voix qu’il m’en voulait toujours et je ne savais pas vraiment comment faire. Enfilant mon peignoir, j’entrai dans son bureau.

« Ca t’intéresse vraiment ? » Je savais que ce n’était pas évident pour lui mais pour moi non plus. Etre escort ne faisait pas de moi une mauvaise personne, d’autant que je n’avais jamais voulu l’être. Je ne couchais pas toujours avec mes clients et heureusement. A chaque rapport rémunéré je me sentais un peu plus salie. Mais j’avais appris à faire avec et passé au dessus, sacrifiant ma vie personnelle, amicale et amoureuse pour ça. Je n’avais pas envie de répondre à sa question, car j’essayais justement de ne faire entrer aucun sentiment dans mes contrats, d’essayer de voir ça comme un jeu de rôle. « Ca a été. Et toi ? »