Le soleil était levé depuis quelques minutes à peine que la quadragénaire attendait déjà dans le local où elle donnait ses cours. Elle était devenue une lève-tôt avec le temps, hormis les lendemains de soirées arrosées évidemment, et observer le monde s’éveiller lui apportait toujours une douce tranquillité. Plusieurs matinées par semaines, elle ouvrait donc le bâtiment que louait généreusement son époux pour elle et exécutait ses premiers étirements en attendant sa clientèle. Installée devant les immenses baies vitrées, la blondinette s’assouplissait en laissant son regard vaquer sur la nature et les personnes matinales qui peuplaient peu à peu la ville de Melbourne. Il lui arrivait souvent de laisser son esprit vagabonder et ses souvenirs traumatisants revenaient au galop tandis que sa respiration contrôlée lui permettait de ne pas laisser ses émotions prendre le dessus.
« C’est terminé l’école pour toi, lui avait un jour annoncé son frère, déjà mature pour son âge mais encore trop jeune pour espérer obtenir un emploi. On va aller dans la rue, tu n’auras qu’à jouer tes petites chansons pour qu'on récolte quelques hryvnia. »
Et ce qui s’était apparenté à de la mendicité avait rapidement tourné en un véritable piège à touristes où Marie, autrefois nommée Ivana, servait d’appât contre son gré. Elle en avait parcouru du chemin depuis ces sombres années et ce changement de vie. Il fallait désormais avouer qu’elle était reconnaissante envers sa bonne étoile pour vivre depuis dans le luxe et n’avoir plus jamais connu le manque de nourriture et la sensation constante du danger. Aujourd’hui, on ne lui demandait plus de s’inquiéter pour son avenir, ni de l’argent ou de la légalité. On attendait seulement d’elle qu’elle fasse perdurer sa beauté, qu’elle entretienne son corps et qu’elle s’occupe en répandant des ragots avec les autres femmes des riches entrepreneurs australiens.
Ses élèves commençant peu à peu à arriver, Marie sortit de ses songes pour les accueillir avec le sourire aux lèvres. La plupart du temps, quand elle se trouvait en société, elle préférait jouer les garces, le genre de femme que personne n’ose importuner mais au sein de sa classe de yoga, elle tombait le masque. Peut-être était-ce son instinct maternel, jamais comblé, qui faisait surface lorsqu’elle prenait soin de ses élèves en corrigeant tendrement leurs postures. Parfois, dans les rangs, elle les entendait discuter et s’enthousiasmer des nombreuses bêtises de leurs enfants respectifs. Cela lui faisait toujours un pincement au cœur en lui rappelant sa plus grande déception : la fausse couche qui avait brisé la passion entre William et elle et leur rêve de fonder une véritable famille.
Pour se changer les idées, Marie avait prit l’habitude de jeter un œil dehors durant les exercices. De là où elle était, il lui était aisé de regarder ce qu’il se passait sur le terrain de basket mitoyen où traînait régulièrement la jeunesse. Et depuis quelques mois, elle ne faisait pas seulement que regarder les corps sculptés des jeunes sportifs non, elle cherchait plus particulièrement un certain Thomas, son jeune amant. Il n’était pas le premier avec lequel elle trompait son époux, il y avait eu son jardinier auparavant, mais c'était beaucoup plus intense cette fois. Elle qui n'avait recherché qu’une histoire sensuelle et sans lendemain, les choses avaient pris une tournure plus sérieuse avec le rouquin. Elle ignorait encore s’il s’agissait d’un véritable amour ou plutôt d’une pulsion, mais celui-ci lui restait en tête, telle une drogue et l'apaisait bien assez pour qu'elle profite sans se poser de questions.
« Et bien mesdames, ce sera tout pour aujourd’hui ! annonça-t-elle à la fin de son cours, pressée de retrouver celui qui occupait ses longues journées d’ennui. A la semaine prochaine et n’oubliez pas de travailler votre souffle ! »